La couleur des sentiments de Kathryn Stockett #23

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Edition Jacqueline Chambon

Genre : Historique

526 pages 

Chez les Blancs de Jackson, Mississippi, ce sont les Noires qui font le ménage, la cuisine, et qui s’occupent des enfants. On est en 1962, les lois raciales font autorité. En quarante ans de service, Aibileen a appris à tenir sa langue. L’insolente Minny, sa meilleure amie, vient tout juste de se faire renvoyer. Si les choses s’enveniment, elle devra chercher du travail dans une autre ville. Peut-être même s’exiler dans un autre Etat, comme Constantine, qu’on n’a plus revue ici depuis que, pour des raisons inavouables, les Phelan l’ont congédiée.
Mais Skeeter, la fille des Phelan, n’est pas comme les autres. De retour à Jackson au terme de ses études, elle s’acharne à découvrir pourquoi Constantine, qui l’a élevée avec amour pendant vingt-deux ans, est partie sans même laisser un mot.
Une jeune bourgeoise blanche et deux bonnes noires. Personne ne croirait à leur amitié; moins encore la toléreraient. Pourtant, poussées par une sourde envie de changer les choses, malgré la peur, elles vont unir leurs destins, et en grand secret écrire une histoire bouleversante.

Petit avertissement avant lecture : J’ai eu tendance à un peu m’emporter dans l’écriture de cette chronique, notamment sur la fin, et il y a donc quelques petits spoilers ( petits hein, en principe, ça ne devrait pas empêcher votre découverte presque totale du roman ) mais je préfère le préciser, et j’engage les plus frileux aux spoils d’entre vous, à faire l’impasse sur la lecture de la chronique ! ( et désolée du coup…)  🙂

J’ai donc découvert ce livre dont la critique semble unanime : bouleversant, touchant, drôle, un coup de coeur pour tout le monde. Et bien, une fois n’est pas coutume, je m’inscris en faux ! Sans pour autant avoir détesté ma lecture et en lui reconnaissant bon nombre de qualités, je trouve à ce roman deux trois problèmes qui m’ont profondément dérangés et empêchés de croire à cette histoire, pourtant présentée comme étant, certes une fiction mais une fiction historique (voire autobiographique car fortement inspirée de la vie de l’auteur).

Dans son ensemble, le livre est bon, ne vous méprenez pas, et j’ai apprécié lire le destin croisée de ces trois femmes dans cette époque de profonds bouleversements.

Minnie l’irrévérencieuse, Aibileen, sage quoiqu’un peu résignée, et Skeeter, pétrie d’idéaux, toutes sont intéressantes et on se prend facilement au jeu de connaitre de quoi leur avenir sera fait. D’ailleurs, petit point important à préciser, le roman est composé majoritairement de femmes : bonnes ou patronnes, les femmes font légion et les hommes sont au mieux, des personnages secondaires, peu présents, au pire, inexistants. Il n’est pas idiot de penser que ce livre a un petit coté féministe, notamment au travers du personnage de Skeeter, qui du début à la fin, cherche à s’émanciper.

Autre point : Les personnages évoluent tout au long du roman, on les laisse changées, différentes à la fin du roman. C’est bien ! Bon alors, évidemment ça devrait être normal dans tout les romans, mais comme certains auteurs contemporains ont un problème avec ça, j’applaudis ceux qui y pensent, et le font.

Les chapitres courts et alternés entre Aibileen, Minnie et Skeeter rendent la lecture fluide et rapide. On tourne les pages sans s’en rendre compte, et on vient à bout des plus de 500 pages en un temps record.  L’ambiance du livre est très bonne, la moiteur et la chaleur du climat des états du sud des Etats Unis est palpable. Certes un peu redondant et attendu au bout d’un moment, mais il n’empêche que ça reste immersif.

Enfin, le récit en lui même est vecteur d’émotions, Kathryn Stockett met dans son roman tout un panel d’émotions et oscille entre drame et comédie à longueur de pages. Pour preuve, ce passage ou l’on passe littéralement et brutalement du rire aux larmes :

(Aibileen raconte) : J’en ai eu, des petits perturbés. John Green Dudley : le premier mot qui est sorti de la bouche de ce garcon était maman, et c’était moi qu’il regardait; Après quoi il s’est mis à appeler tout le monde maman, y compris la vraie et aussi son papa. Il a fait ça longtemps sans que ça gène personne. Mais tout de même, quand il a commencé à mettre les jupes plissées de sa soeur et du parfum N°5 Chanel, on s’est tous un peu inquiétés. J’ai servi longtemps chez les Dudley – plus de six ans. Son père l’emmenait dans le garage et il le fouettait avec le tuyau d’arrosage en caoutchouc jusqu’à n’en plus pouvoir pour faire sortir la fille de ce garçon.

Ce qui m’amène au point suivant : Le quotidien des domestiques noires (et par extension de leurs patronnes blanches), encore une fois très immersif, est surtout extrêmement précis et documenté. Au delà d’Aibileen et Minnie, on en apprend aussi, bien que dans une moindre mesure, sur le passé et le quotidien d’une bonne dizaine de femmes noires. Je crois sincèrement qu’après avoir lu La couleur des sentiments, on peut à peu près bien, s’imaginer ce qu’était la vie d’une bonne dans les années 60. Bon en même temps, c’est le propos du livre, donc heureusement ! Mais c’est réussi.

Ceci dit, et je vais passer aux points qui m’ont un peu fâchés, le livre ne donne qu’une idée très très light des événements et des acteurs politiques qui ont permis aux Etats Unis d’en finir avec les lois raciales et la ségrégation. Il est fait mention peut être une à deux fois de Martin Luther King ou des lois Jim Crow et c’est tout. Historiquement parlant, le livre est faible en détails pourtant il démarre en 1962 donc seulement deux ans avant l’adoption du Civil Rights Act. J’aurais aimé connaitre les répercussions des marches pacifiques de Luther King dans le quotidien des Noir(e)s de Jackson, Mississippi. Dommage.

Ensuite, j’ai vraiment été étonnée du manque de nuances dans le livre concernant le traitement des personnages blancs et noirs. J’ai vraiment eu l’impression que Kathryn Stockett prenait le parti de donner toutes les qualités du monde aux Noires et tout les défauts aux Blanches. Il y a quelques exceptions mais dans l’ensemble, et pour simplifier, j’ai lu l’histoire de gentilles Noires et de méchantes Blanches. C’est franchement pas top, surtout dans un livre ou l’auteur s’attache à démontrer, par le biais d’Aibilleen notamment, que Noirs ou Blancs, nous sommes tous des hommes.

Et enfin, le dernier point, et certainement celui qui m’agace le plus. Pour le comprendre, il faut savoir que durant tout le livre, l’auteur nous fait comprendre que le projet de livre de Skeeter -le récit-témoignage des bonnes- est dangereux, très très dangereux. Dangereux car si jamais l’identité des femmes noires est découverte, elles seraient en danger de mort. C’est cette peur tangible qui explique pourquoi les domestiques sont pour la plupart réticentes au projet, c’est la trame de fond du roman et c’est bien fait car on tremble pour ces femmes lorsque le pot aux roses risque d’être découvert… Sauf que ! Tout va pour le mieux. C’est du happy end pour tout et tout le monde. Sans exagérer, il n’y a aucun mort dans tout le roman, et c’est juste pas logique du tout.

Pendant tout le roman, on s’attend à des passages à tabac, des maisons brulées.. Des actes de violence en définitive. Rassurez vous, je ne suis pas sadique, mais c’est quelque chose qui aurait été dans la logique de l’époque, car chacun sait que le sud des Etats Unis dans ces années la n’était pas un endroit sur pour les noirs qui voulait s’affranchir des lois (légales ou tacites d’ailleurs).

Combien de simulacres de procès, de passages à tabac, de maisons incendiés, d’assassinats racistes ? Le Klux Klux Klan existait, les intimidations, le lynchage, les pendaisons, la violence était présente, elle existait dans les états du sud ! Zut alors, comment est ce possible de balayer d’un revers de main tout ça et de nous faire croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? (coucou Voltaire !)

Enfin voila, c’est grave et dangereux de donner un happy end à cette histoire, pour moi, l’auteur fait presque preuve d’irresponsabilité vis à vis de l’Histoire. Si je poussais à l’extreme, je dirais qu’avec ce livre, Kathryn Stockett réécrit l’Histoire et adoucit l’époque. Et c’est grave.

Au final, Kathryn Stockett pousse le « Happy End » à son maximum, puisqu’elle va même jusqu’à guérir une mourante.

Petit spoil ici : La maman de Skeeter est en très mauvaise santé dès le début du roman, elle souffre de l’estomac, et son état va en s’empirant jusqu’au diagnostic fatal de cancer de l’estomac. Elle va de mal en pis, ne s’alimente plus des semaines d’affilées, vomit plusieurs fois par jour, finit très affaiblie, alitée et n’ayant plus que la peau sur les os. Bon arrivé à ce point dans le roman, on se dit qu’elle va y passer, et en soi, c’est normal et logique, elle ne peut pas ne pas mourir alors qu’elle est sur le déclin avec un pied dans la tombe depuis tant de pages. Le lecteur s’attend à sa mort. Et ben, croyez le ou non, elle guérit ! Et c’est même pas un regain de santé passager, non non elle guérit vraiment..

Alors si dans le monde de Kathryn Stockett, les cancers incurables en phase terminale peuvent se guérir miraculeusement, moi j’emmène tout mes proches et je vais vivre la bas, hein !

Enfin voila, trêve de plaisanterie, j’ai trouvé ça ridicule de pousser le concept du happy end à ce point la. C’est illogique et absolument pas réaliste.

Conclusion, une lecture douce amère tout simplement. Un livre certes qu’on ne peut pas lâcher une fois commencé, mais quelques points qui viennent noircir le tableau ! Et encore une fois, un coup de coeur unanime que je ne partage pas !

Anne. 

10 commentaires

  1. Je suis d’accord avec toi par rapport au fait qu’il manque un peu de ce côté historique, toute fois il n’y a pas que des méchantes blanches. D’abord par le rôle de Skeeter qui va à l’encontre des règles pour écrire un livre sur ces femmes, je trouve ça assez courageux pour ma part. Et aussi avec la naïve Celia Foote, qui ne se soucie pas de la couleur de sa bonne et qui reste assez gentille comparé aux autres.

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    • J’ai un peu forci le trait et l’ai surtout simplifié je te l’accorde 🙂

      Ceci dit, même si j’y vais un peu fort et qu’il y a effectivement quelques personnages qui sortent du lot, ce n’est pas la majorité, loin du la et surtout, ils ne sont souvent que des personnages très très secondaires qu’on ne fait qu’évoquer dans le livre mais qui ne l’habitent pas (La dame qui paye les soins médicaux du fils de sa bonne par exemple) Pour Skeeter, c’est normal. Quand à Celia Foote, elle n’est certes pas « méchante » mais elle a bien d’autres défauts ( futile, superficielle, voire idiote ?).

      Si l’on s’amusait à lister tout les personnages du roman et à lister leur qualités/défauts par couleur, il y a fort à parier que la liste « défauts » des blanches serait à rallonge comparée à celle des noires.

      Encore une fois, c’est très personnel, et je n’affirme rien, mais c’est vraiment quelque chose que j’ai perçu tout au long du livre 🙂

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      • Ha ça c’est sur que malgré les défauts que je lui trouve, cette lecture a eu le mérite de m’accrocher du début à la fin, je n’ai pas senti du tout passer les 500 et quelques pages et je me sentais très concernée par la cause et le projet de toutes ces femmes. Une bonne lecture c’est clair 🙂

        Merci pour ton avis !

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  2. Belle chronique « habitée » ! On sent l’intérêt que tu as pour le sujet et c’est tant mieux. Je n’ai vu que le film pour ma part, qui m’a touchée, mais je peux comprendre ton sentiment concernant certains romans qui traitent des États Unis dans cette période. Quand j’ai lu « Va et poste une sentinelle » (suite de « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur »), j’ai été lassée par le point de vu « tout rose » de Scout qui ne voit que les qualités des noirs et est complètement fermée à celles de son entourage blanc et notamment de son père… un sujet pas si facile à traiter donc…

    K

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    • Ravie que la chronique t’ait plu ! Effectivement, je pense que comme les français et la guerre d’Algérie, les américains et leur passé ségrégationniste est encore trop frais dans les esprits ( c’est pas si vieux que ça, mine de rien ! ) et le sujet est souvent traité en prenant des pincettes et avec « bon sentiments ». C’est très dommage.

      Tu avais déjà évoqué ta lecture de va et poste une sentinelle, ça m’intrigue tout ce que tu dis, je vais surement acheter le bouquin pour lire tout ça ( même si du coup, je m’attends à une lecture compliquée :p )

      Merci de tes avis toujours très éclairés en tout cas ! 🙂

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  3. J’entends beaucoup parler de ce livre à ce moment, mais je reste septique. Du coup, je suis assez contente d’avoir trouvé ta chronique assez détaillée dans l’argumentation.Je pense me tourner vers le film si ma curiosité persiste, car j’aimerais quand même découvrir cette histoire. Je trouve dommage que le tout ait l’air finalement édulcoré. Le manque de nuance m’étonne moins, c’est aussi le soucis de pas mal de films sur le sujet de la discrimination… mais ce côté là me gêne moins que l’adoucissement de l’époque. Puis je n’ai toujours pas sorti de ma PAL « ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » >< Là je sais que c'est le point de vue d'une petite fille et s'il y a des défauts, cela risque de moins me gêner. (je me souviens que celui-là n'avait pas été un coup de coeur non plus). Après il a l'air bien quand même. 🙂

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